Tribune «Négliger la prévention, c’est renforcer les inégalités»

Dans une tribune au Parisien-Aujourd’hui en France, deux professeurs et deux députés alertent sur la nécessité de mener une action politique forte en matière de prévention, afin de réduire les inégalités face à la santé.

Les professeurs Didier Jourdan, chaire Unesco et collaborateur OMS ; Franck Chauvin, université Jean-Monnet (Saint-Étienne) et président du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Les députés de la commission des Affaires sociales Ericka Bareigts, élue de la Réunion et ancienne ministre ; le docteur Cyrille Isaac-Sibille, élu du Rhône.

« Comme l’a rappelé le président de la République, si la France soigne bien, elle prévient mal, bien plus mal que la majorité de ses voisins. Loin d’être un concept, le déficit de prévention se mesure : différence de treize années pour l’espérance de vie entre les plus aisés et les plus défavorisés, taux de mortalité prématurée évitable parmi les plus élevés d’Europe, comportements à risques plus présents chez les enfants d’ouvriers que de cadres. Les inégalités de destin sont liées au lieu de résidence, notamment dans les territoires d’outre-mer.

En finançant un système de santé presque exclusivement fondé sur le soin -héritage historique de 1945-, la France a renforcé les inégalités face à la santé, inégalités qui trouvent essentiellement leurs racines dans les différences d’accès aux actions de prévention primaire. Les facteurs de risque individuels, mais surtout collectifs ou environnementaux, sont en effet autant de déterminants majeurs qui pèsent sur la santé des plus défavorisés. Et si leurs effets sont tardifs et s’observent principalement dans la deuxième partie de la vie, ces déterminants interviennent très tôt dès la grossesse et l’enfance et peuvent être contrés. C’est donc auprès de notre jeunesse qu’il faut agir !

Si prévenir permet de lutter contre les inégalités de destin qui s’installent dès le plus jeune âge, prévenir est aussi un acte citoyen et de bon sens. La pérennité de notre système de santé solidaire est en danger face à l’augmentation croissante des maladies chroniques et au vieillissement en mauvaise santé de la population. La prévention est un remède efficace : pour un 1 euro investi dans une action préventive, c’est 14 euros économisés par notre système de santé. Il y a donc urgence à agir !

Une prise de conscience semble s’être récemment opérée. En 2017, la prévention a fait irruption dans les discours des candidats à l’élection présidentielle, suscitant un vif espoir. Désormais inscrite à l’agenda politique comme une priorité de la stratégie nationale de santé, elle a trouvé une traduction concrète via la mise en œuvre de quelques décisions structurantes telles que le plan Priorité prévention présenté par le Premier ministre et la ministre de la Santé au mois de mars. Mais ces actions isolées ne peuvent suffire pour passer réellement des intentions aux actes.

Parmi les nombreuses productions récentes concernant la prévention, le rapport présenté par la mission d’information de l’Assemblée nationale relative à la prévention santé en faveur de la jeunesse propose une feuille de route à la fois simple et complexe à mettre en œuvre. Simple, parce que tous les ingrédients pour une politique de prévention ambitieuse existent déjà, mais complexe, parce qu’elle nécessite une alliance de ses acteurs, une unification de notre système, des actions ciblées sur les publics qui en ont le plus besoin, des financements identifiés et des données robustes et disponibles.

L’heure ne doit pas être au fatalisme, mais à l’action. Seul un portage politique fort peut redonner une colonne vertébrale à notre politique de prévention, qui doit reposer tant sur les déterminants et comportements individuels de santé que sur les déterminants environnementaux, ainsi que sur la promotion de la santé dès le plus jeune âge.

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) doit être l’occasion de signifier que la révolution de la prévention, à laquelle le président de la République a encore récemment rappelé son attachement, est en marche et que la prévention prendra toute sa place dans le système de santé renouvelé qui se dessine pour les cinquante prochaines années. Il devra comporter un volet prévention primaire fort, innovant et volontariste. Faute de quoi, les plus jeunes subiront dans quelques dizaines d’années les effets de ce système de santé qui soigne bien mais prévient mal et que nous n’aurons collectivement pas pu faire évoluer. C’est l’avenir de notre jeunesse qui se joue actuellement. »